propos sur l'appareil photo
la tentation de la photographie...
la photographie c’est d’abord des envies : le désir de voir, une attirance pour la lumière, un théâtre d’ombres, un regard...
mais depuis son origine, la photographie entretient un lien fort avec la technique : la camera obscura, l’alchimie du développement...
il n’est donc pas étonnant que la question de l’appareil photographique soit une question récurrente qui hante de nombreux photographes
L'appareil photographique, du fait de sa marque, son coût, son histoire, sa forme, ses caractéristiques techniques, agit comme marqueur social, influence la relation du photographe à son sujet et détermine en partie ce qu'il est possible de photographier...
Par exemple, le Leica M renvoie à l'histoire de la photographie, au premier prototype d'appareil photo 35 mm (1914), au Leica M3 de 1954... Il contribuera à l'émergence de ce que l'on appelle aujourd'hui la « street photography ». Il inscrit son propriétaire dans la longue filiation des utilisateurs du Leica M parmi lesquels on compte de nombreux photographes célèbres (Robert Capa, Henri Cartier-Bresson, William Eggleston, Elliott Erwitt, André Kertész, Marc Riboud, Louis Stenner...).
Le nom d'Henri Cartier-Bresson est associé à Leica et au 50 mm.
Par sa qualité de fabrication, sa précision de fabrication, il projette l'image de quelqu'un sensible au luxe, aux meilleurs matériaux...
Cependant le Leica M est aujourd'hui encore un instrument à photographier exceptionnel limité essentiellement par le domaine d'usage de la visée télémétrique (pas d'autofocus, utilisation de focales entre 18 et 135 mm). On l'achète pour sa compacité, sa simplicité d'utilisation et ses objectifs lumineux qui sont parmi les meilleurs du monde.
Avec cet appareil [panoramique], je serais peut-être capable de faire quelque chose que je n’ai jamais fait auparavant.
Joseph Koudelka doit aujourd'hui sa célébrité autant pour son travail sur les Gitans (1975) que pour ses images panoramiques réalisées pour partie avec un Fuji G780. Au terme d'un travail de 30 ans, il présente dans Ruines (exposition BnF, 2020), un corpus d'images panoramiques de ruines prises autour de la méditerranée avec la particularité de s'attacher à des fragments plutôt que de proposer des paysages.
Pour sa série « Le café Lehmitz » (1969), Anders Petersen avait choisi de travailler avec un simple compact argentique (Contax T3 35mm). Ce petit appareil « amateur » avait entre autres avantages, de ne pas « impressionner » les habitués du café et de tenir dans une poche.
Daido Moriyama, a documenté ses déambulations dans le quartier de Ginza (Tokyo) avec un petit appareil Ricoh GR à la main. Pour lui l'appareil, n'a pas une grande importance s'il produit des images de bonne qualité et s'il permet viser et photographier simplement.
Pour photographier, La France (exposition BnF, 2010), Raymond Depardon utilise une chambre de grand-format. « Ce matériel lourd et encombrant induit une méthode - fondée sur un temps long et une mise en scène : on pose avec pied et rideau, dans l’esprit des grandes missions photographiques du siècle dernier - et une esthétique spécifique : la qualité des détails est fascinante. » (Dossier presse)
En 1974, Nan Goldin commencera à documenter son environnement intime avec un Pentax, un grand angulaire et un flash... « Je rachetais dans un bar n'importe quel appareil volé. L'équipement est un problème masculin. Les hommes adorent parler de leurs lentilles, de leurs objectifs, spécialement les longs objectifs. Quand j'ai commencé à gagner de l'argent, au début des années 1990, j'ai acheté un Leica. J'en ai perdu quelques-uns. Aujourd'hui, j'adore mon Leica. »
Ces quelques exemples, nous parlent de l'influence de l'appareil photographique sur le photographe et sur la relation du photographe à son sujet et donc sur le style de ses images. Pensez aussi au regard qu'auront les personnes photographiées avec votre appareil. La discrétion d'un appareil télémétrique ou d'un Iphone, l'agressivité d'un reflex avec un zoom pro, le « sérieux » d'un moyen format ou d'une chambre... n'auront pas le même effet sur elles.
Choisir une chambre photographique ou un Iphone est autant un acte « artistique » que technique.
hiérarchiser ses désirs
Il faut, en outre, considérer que, parmi les désirs, les uns sont naturels, les autres vains, et que, parmi les désirs naturels, les uns sont nécessaires, les autres naturels seulement. Parmi les désirs nécessaires, les uns le sont pour le bonheur, les autres pour l’absence de souffrances du corps, les autres pour la vie même. En effet, une étude de ces désirs qui ne fasse pas fausse route, sait rapporter tout choix et tout refus à la santé du corps et à l’absence de troubles de l’âme, puisque c’est là la fin de la vie bienheureuse.
Notre désir d'avoir toujours plus pour moins cher, les récits du marketing, la multiplicité des offres et des avis nous font souvent perdre de vue l'essentiel.
William Klein affirme, dans un entretien de Alain Genestar : « Je ne suis pas un journaliste. D'ailleurs, je n'ai jamais d'appareil photo sur moi. Quand j'en prends un, c'est parce que j'ai un projet. » (Polka Magazine #5, page 53, Paris, 2009)
Un questionnement approfondi de nos objectifs, de nos motivations, de nos besoins est un préalable essentiel au choix d'un appareil photo. Le budget ou le retour sur investissement pour un professionnel devra bien sur être intégré à la réflexion.
Supposons notre projet clarifié. Voyons maintenant comment faire un choix parmi les modèles sans risquer de se perdre dans l'étude comparée des caractéristiques techniques et les avis multiples, sachant que, au sein d'une même gamme de prix, les performances se valent globalement.
regarder, toucher, sentir, écouter...
La beauté n'est pas une qualité inhérente aux choses elles-mêmes, elle existe seulement dans l'esprit qui la contemple, et chaque esprit perçoit une beauté différente.
Je vous invite à vous rendre dans un magasin d’instruments de photographie pour y vivre une expérience sensorielle : regarder, toucher, sentir, écouter...
Tout d'abord, il faut que son appareil soit beau.
Détendez-vous ! Observez avec attention, longuement, chaque modèle. Attardez-vous devant ce qui vous parle. Établissez des connexions… Dans un premier temps, différez la lecture de l’étiquette, l’appel au vendeur. Explorez par vous-même les formes, les lignes…
Êtes-vous plus sensible au style bauhaus du Leica M10 ou à la sensualité des courbes du Canon EOS R5 ?
Demander à prendre en main l’appareil avec l'objectif que vous pensez utiliser le plus souvent. Le poids, l'encombrement, la facilité d'accès aux commandes doivent être éprouvés. Il faut se sentir bien avec.
Dans le monde des reflex, je trouve que la configuration Nikon D850 (146 x 124 x 78,5 mm, 1005 g) avec l’objectif Nikkor AF-S 58 mm f/1.4 (385 g) forme un ensemble très maniable. Le Nikon D6 (160 x163 x 92 mn, 1460 g), qui s'approchera de la perfection pour les uns, me semble trop gros, trop lourd.
[...] ce que vous mettez dans le cadre et ce que vous mettez à l’écart est ce qui détermine le potentiel de votre photo, mais vous devez continuer à garder en tête qu’il y a plein d’autres choses qui se passent en dehors du cadre [...]
Le viseur (s’il y en a un) est évidemment un élément essentiel. Sa position, sa couverture de l'image, sa clarté, son dégagement oculaire sont à considérer avec beaucoup attention.
Aujourd'hui les viseurs numériques tendent à remplacer les viseurs optiques. Les avancées technologiques (définition, fréquence de rafraîchissement, fidélité des couleurs, contraste...) sont nombreuses et rapides.
Ils ont pour avantage de faciliter la visée en ambiance peu lumineuse, de pré-visualiser l'image avec les réglages en cours et donc de pouvoir procéder à des ajustements avant la prise de vue et enfin, de permettre des appareils plus petits.
Par contre, ils fonctionnent que si l'appareil est allumé et leur capacité à restituer les détails est moindre (scène fortement contrastée, lointains...). Enfin, je ne vois pas l'intérêt d'encombrer la visée d'une foule d'informations (histogrammes...).
Pour ma part, je préfère les viseurs optiques qualitatifs. Celui du Nikon D850 est exemplaire : une couverture de l'image de 100%, un grossissement de 0,75x et un dégagement oculaire de 17 mm. Avec un Leica M, il vous sera même possible de viser les deux yeux ouverts !
En 2021, le viseur électronique du Sony Alpha 1 (une définition 9,44 Mpoints, une couverture de l'image de 100%, une fréquence de rafraîchissement de 240 images par seconde, un grossissement de 0,9x, un dégagement oculaire de 25 mm) représente le summum la technologie commercialisée.
L'écran arrière devra être bien défini, tactile et orientable selon 3 directions.
Le son lors du déclenchement a aussi son importance. Ecoutez les différences. Il faut qu'il vous plaise et aussi se souvenir que la discrétion est souvent préférable.
Lorsque j'ai remplacé mon reflex Nikon D800E par un Nikon D810, j'ai constaté avec plaisir que je n'attirais plus les regards à chaque déclenchement ! De plus, en diminuant les sources de bruits, Nikon a pu diminuer les vibrations internes ce qui facilite l'obtention de photo parfaitement nettes avec un capteur de 36 Mpx.
L'obturation électronique offre le silence et des possibilités de temps de pose extrêmement courts 1/32000. Les risques de déformations des objets en mouvement (rolling shutter) ou les artefacts lumineux (en lumière artificielle) restent présents mais se réduisent (voir le Sony Alpha 1).
Enfin, il faudra s'assurer que les autres caractéristiques sont compatibles avec l'utilisation : précision et la réactivité de l'autofocus, autonomie, étanchéité...
il faut privilégier la simplicité
L’analphabète du futur ne sera pas l’illettré mais l’ignorant en matière de photographie.
Il est important que utilisation de son appareil photographique soit simple, intuitive et sûre. Les réglages doivent être intuitifs et ne pas se dérégler par inadvertance.
Le Leica M-10D (2018) est appareil numérique dépourvu d'écran arrière. Il est à cet égard à la fois un objet luxueux et radical.
Malheureusement, le marketing et les possibilités technologiques tendent à faire croître la complexité des appareils. Il suffit de regarder le nombre de pages des manuels utilisateurs pour s'en convaincre : 99 pages pour l’Olympus OM-2 (1975) et 279 pages pour le D850 (2017) !
J’espère que les fabricants reviendront à la sobriété.
De ce point de vue, l'ergonomie héritée des appareils argentique me semble la plus efficace. Les paramètres essentiels de prise de vue : vitesse d'obturation, ouverture, sensibilité ISO... sont directement accessibles et respectent le principe « une touche, une fonction ».
La qualité d'un photographe ne réside pas dans sa capacité à maîtriser la multitude d'options des appareils d'aujourd'hui. Un fonctionnalité ne sert à rien si elle est difficile d'accès ! Il y a trop d'options « inutiles ». Les menus des appareils numériques doivent être simples et intuitifs !
Canon a montré la voie à suivre pour ce qui est de l'agencement des menus.
capteur numérique ou film argentique ?
Aujourd'hui, le choix de l'argentique est celui de la lenteur, de l'artisanat... On utilise la Tri-X Kodak pour la sensualité de ses grains d'argent, alors qu'en 1954 c'était pour accéder à de nouvelles images.
Le choix du numérique est celui de la vitesse et de la performance.
Les générations de capteurs, d'écrans, de microprocesseurs se succèdent. Les performances sont étonnantes. Il est possible de photographier là où l'oeil ne distingue rien et de faire des tirages en A1 avec une richesse de détails inédites dans l'histoire de la photographie. L'appareil peut faire tenir la mise au point sur l'oeil de votre choix...
Il faudra cependant se souvenir que les caractéristiques liées aux capteurs (la taille, la résolution, la dynamique, la gestion du bruit...) se résument à de simples critères de reproductibilité techniques si elles ne sont pas mises au service d'un projet.
Le meilleur appareil est celui avec lequel on est à l’aise.